vendredi 1 mars 2013

En religion


En 1963, un évènement unique étonna le monde de la musique internationale : une chanson en français, pour la seule et unique fois, trônait au premier échelon de la prestigieuse revue Billboard, bible de la musique américaine et internationale depuis 1894.  Cet exploit était accompli non pas par un pilier de la musique mais par une humble religieuse belge : Sœur Luc-Gabriel, née Jeanne-Paule Marie Deckers en 1933. Elle entre au couvent des dominicaines en 1959 où elle se fait tout de suite remarquer par ses supérieures grâce à ses talents musicaux.  Tellement qu’on décide de profiter de cet aubaine en lui faisant enregistrer ses chansons.  C’est avec la compagnie Polydor qu’on négocie un contrat.  Comme Polydor prend un risque elle gardera 95% des revenus des ventes et 5% ira aux dominicaines ce qui laissait un gros 0% à se mettre sous la dent pour  Sœur Luc-Gabriel ayant vœu de pauvreté et d’obéissance n’aura droit à… rien.  Comme ni la photo, ni le nom de la religieuse ne doivent apparaître sur le disque, on finit par s’entendre pour le nom d’artiste de Sœur Sourire.

On met en marché la chanson « Dominique » et rapidement la chanson connaît un succès fulgurant dans toute l’Europe à un point tel que l’écho s’étend jusqu’en Amérique et la compagnie Philips reprend le flambeau entre sortant le 45 tours et l’album aux U.S.A. (en anglicisant son nom en « Singing Nun ») où le succès est tout aussi phénoménal.  Le 45 tours demeure en tête du Billboard pendant 4 semaines et l’album s’installe pendant 10 semaines au top des ventes du Billboard 200.  Il fallut la sortie du premier long-jeu des Beatles aux États-Unis pour la détrôner.  Le succès s’étendit également au Canada et en Amérique du Sud.

Croyant sans doute réitérer le succès, on sort en 1964 un deuxième album, mais déjà l’engouement s’est rafraîchi car le disque ne peut faire mieux qu’une 94e place et aucun 45 tours n’en sortira.

On sortit même un film dans lequel Debbie Reynolds tenait le rôle de Sœur Sourire.  Elle interprète une version anglaise de « Dominique ».

La suite de l’historie de Marie Deckers est moins gaie.  Elle quitta la vie religieuse en 1966.  Elle tenta tant bien que mal à renouer avec le succès sans vraiment réussir.  Sans entrer dans les détails, en 1985 criblée de dettes, dépressive, elle se suicide avec une amie.  Le jour même de son suicide, un organisme protégeant les droits d’auteur, la SABAM, avait réussi à son insu à lui récolter 570 000 francs belges alors que sa dette était de 99 000 francs belges.
  
Pendant ce temps dans une couvent américain, une sœur supérieure, ne voulant sans doute pas être en reste, organise un « Nun Academy » afin de trouver le pendant américain à Sœur Sourire.  Devant le manque de talent évident de ses p’tits sœurs elle abandonne le projet.  Quelque temps plus tard, elle déambulait, en méditant sur son orgueil, dans le jardin de la communauté, quand elle entenduit le chant mélodieux d’un oiseau qu’elle ne pouvait identifier.  Cherchant la provenance de cet interprète volatil qu’elle me fut sa surprise de se retrouver face à un de ses sœurs béchant le champs de patates en sifflant un air de « Sound Of Music ».  C’est alors qu’une grosse lumière de 300 watts s’alluma au-dessus de la tête de la mère supérieure, elle venait de découvrir celle qui fera la fortune de la communauté.  Si la francophonie avait eu sa « Singing Nun », l’Amérique aurait sa « Whistling Nun ».  On ne lésina pas sur les moyens, on remisa la guitare acoustique au grenier et on sortit les violons pour accompagner cette sœur sifflante.

Écoutez-la s’époumonner gaiement dans trois airs de « Sound Of Music » que vous reconnaîtrez sans doute : Farewell, Ordinary Couple et Maria.

Pendant ce temps, en Ontario, une mère supérieure de la Congrégation des Sœurs Grises de la Croix, ayant eu vent de ces évènements se demandait comment répliquer à ces concurrents.  Elle se dit en son fort supérieur : « Jamais deux sans trois.  Si deux sœurs de deux pays différents ont accompli un tel exploit, personne ne pourra résister à deux religieuses ontariennes chantant en français ».  C’est ainsi qu’on unit les talents de sœur Wilfrid-Marie et sœur Jean-Louis qui ont mis non pas un mais deux albums sur le marché.  Toutes les paroles et la musique de ces disques sont de Nanette… Bilodeau, la sœur Wilfrid-Marie du duo de deux.  Après les filles de joie, nous avons droit aux Messagères de Joie.

Recueillons-nous le temps de trois chansons de ces joyeuses nonnes : Il faut que ça soit neuf, Bonne nouvelle et Jardin magique.

Comme nous sommes en plein Carême, je poursuis dans le même ton en vous offrant une trentaine d’ingrédients à saveur religieuse pour vous préparer une recette de pets de sœur que vous dégusterez à genoux, les bras en croix dans le coin.

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